Une drogue de moins en moins sociale
La cigarette est encore considérée comme une « drogue sociale », celle qui permet d’entamer le dialogue, de partager des moments de convivialité. Elle apparaît même à ceux qui l’ont toujours connue comme une part de notre culture… Les industriels du tabac ont bien travaillé. Ils ont réussi pendant des années, sur un terrain où même les alcooliers avaient renoncé, à prétendre que la dépendance à la nicotine était un leurre, que la nocivité de la fumée était relative pour l’usager et peu probable pour l’entourage, que le tabac était finalement une pratique relevant de la seule décision des individus : un quasi-symbole d’indépendance sur fond de liberté, d’aventure et de grands espaces peuplés de beaux cowboys burinés, de couchers de soleil rougeoyants et de bien-être béat.
Il est vrai que les choses se sont un peu gâtées depuis quelques années. L’Amérique qui l’avait imposée au monde entier s’est liguée contre la cigarette avec une haine aussi excessive que l’idolâtrie qu’elle lui avait témoignée pendant plus d’un demi-siècle. Au pilori, Lauren Baccall ! Au bucher, Humphrey Bogart. Les héros d’outre Atlantique partent aujourd’hui se battre la fleur au fusil et le chewing-gum entre les dents, mais jamais le clope au bec…
Cococorico fumant
S’il faut reconnaître un mérite aux autorités de santé publique françaises, c’est sans doute de ne pas avoir cédé comme les USA l’ont fait à la chasse hystérique aux fumeurs.
Là bas, c’est le comportement que l’on stigmatise. Ici, c’est l’effet de ce comportement sur les autres que l’on combat.
Un petit cocorico ne fait pas de mal, car, au-delà d’un choix d’efficacité stratégique, il s’agit bien d’un choix de prise de conscience, de responsabilité qui a été opéré et évite aujourd’hui de vivre une situation d’affrontement entre fumeurs et non-fumeurs. Près des deux-tiers des fumeurs déclarent vouloir s’arrêter (la quasi-totalité des non-fumeurs sont d’ailleurs prêts à les y encourager !) et le pourcentage d’accros hexagonaux à la cigarette est aujourd’hui descendu au-dessous de 30%. La norme a changé de camp. Dans les années soixante-dix, elle était du côté des fumeurs. En ce début de XXIe siècle, elle est résolument passée dans celui des non-fumeurs. Les quelques illuminés qui prédisaient il y a quelques années la fin prochaine du tabac de masse n’annonçaient pas l’apocalypse…
J’arrête quand je veux ou quand je peux ?
Demandez à un fumeur dans quelles circonstances il allume volontiers une cigarette et faites-lui les propositions suivantes. Jamais sans doute on ne vous aura aussi peu répondu non…. Fumez-vous lorsque vous êtes seul ? Lorsque vous êtes entre amis ? Lorsque vous êtes stressé ? Lorsque vous êtes détendu ?
En réalité, tous les fumeurs cumulent toutes les raisons de fumer. Et, toutes ces raisons sont de vraies raisons car chacune d’entre elles va engendrer une réponse que le cerveau du fumeur accro va interpréter comme une satisfaction à sa demande. Si je suis seul et que je m’ennuie, au minimum fumer me fournit une occupation, va me stimuler. Si je passe une bonne soirée entre amis, le tabac soulignera la convivialité de l’instant. Si je suis stressé, j’aurai l’impression que la cigarette m’aide à décompresser, etc. Chaque fois, il s’agit d’un leurre, chaque fois, je serai pourtant piégé.