Drogues douces, drogues dures
Drogues douces, drogues dures. Depuis des lustres, cette distinction est un vrai cache-misère. Entre les partisans de l’amalgame et les défenseurs de la nuance, la guerre fait rage. La prévention n’en sort pas toujours gagnante.
Tout le monde l’aura remarqué : dans les transports publics, il y a tantôt les usagers et tantôt les clients. Lorsqu’ils sont à plaindre (les jours de grève par exemple), on parle « d’usagers », mais lorsqu’ils redeviennent des individus responsables de leurs actes (en principe le reste du temps), on dit « clients ». Le parallèle est certes un peu hardi pour aborder le sujet des drogues (tant qu’on est dans le voyage…), mais pas aussi incongru qu’il y paraît.
Ainsi, chez nous, il y a des « usagers de drogue ». Là, on sait que la situation est grave. On devine déjà comme une dimension de fatalité, une promesse de malheur. Pas d’erreur, on est dans « le dur » et dans l’illégal : il s’agit sans doute d’héroïne, de crack. A-t-on jamais entendu parler « d’usager » de Pastis ou de tabac blond de Virginie ?
Il y a aussi les « consommateurs de drogue ». L’évocation est déjà moins dramatique. On établira facilement des ponts entre eux : consommateurs de haschich, consommateurs de bière… Sans conteste, on est dans le « doux ». Mais pas forcément dans la légalité.
Qui a fumé gobera, qui a sniffé se piquera ?
C’est à peu près la même subtilité sémantique établie entre consommateurs et usagers qui régit les différences d’image entre drogues douces et drogues dures. Une nuance évidemment… artificielle, mais qui constitue déjà un progrès considérable depuis l’époque où le discours officiel se refusait à faire la moindre distinction entre les différentes drogues et leurs modalités de consommation.
Une théorie a la vie dure : celle de l’escalade inéluctable qui fait qu’un petit fumeur d’herbe insouciant deviendrait forcément un junky délabré. Idée fausse sans doute, mais dans laquelle on trouve quand même une part de vérité car il existe bien des « logiques de consommation ». De fait, la plupart des études menées en France montrent que celles et ceux qui fument régulièrement du tabac et boivent de l’alcool consomment plus volontiers du cannabis que ceux qui sont abstinents pour ces deux produits légaux. Cela ne signifie évidemment pas pour autant un passage obligé à l’ecstasy ou au LSD, une condamnation sans appel à la coke ou à l’héroïne !
En matière de drogues, il existe des « lignes jaunes » personnelles plus ou moins clairement formulées que certains franchiront et que d’autres ne passeront jamais (entre autres, l’injection, le vol avec violence, la prostitution…) Mais toutes sortes de « contrôles sociétaux » vont aussi jouer : si le groupe, par la pression qu’il exerce, peut s’avérer être un moteur de consommation, il peut aussi devenir un garde-fou, particulièrement si l’usage individuel vient à déraper.
Chaque réseau, chaque clan, chaque famille, chaque individu a ainsi sa propre appréciation de ce qui est dangereux et de ce qui l’est moins, de ce qui se situe dans le domaine du raisonnable, de ce qui dépasse la mesure. C’est pourquoi la prévention passe par une information objective des risques liés, non seulement aux produits, mais à leurs différents modes de consommation.