Sommes-nous tous des accros ?

« Accro, addict » : est-ce seulement une version remixée de « toxico, camé ou alcoolo » ? Trop facile et surtout injuste: en matière de dépendance, tout n’entre pas dans la même case et… ça dépasse.

Faites le test autour de vous : si vous demandez d’illustrer d’un mot la toxicomanie, il y a fort à parier qu’on vous répondra « drogue ». Et si vous réclamez des précisions, ce sont sans doute les vocables symboliques « piqûre ou héroïne » qui viendront tout de suite à l’esprit de vos interlocuteurs. Simplification excessive ? Association commode entre illégalité et marginalité ? Banalisation plus ou moins consciente des très nombreuses formes de dépendance plus discrètes dont beaucoup d’entre nous souffrent parfois en secret ? En tout cas, trop de questions pour que l’on se satisfasse de cette appellation comme unique réponse…

Au terme de toxicomanie, trop connoté « drogue dure », les professionnels préfèrent aujourd’hui celui, plus générique, d’addiction qui présente l’avantage certain d’intégrer les ressorts communs à l’ensemble des maladies de l’habitude, de la dépendance ou de la démesure.

Désormais, aux yeux des spécialistes de la prévention et du soin, le produit peut présenter moins d’importance que la conduite, le comportement du sujet. Tout simplement parce que l’on peut cumuler les consommations de plusieurs produits différents ou, qu’à l’inverse, il n’y a pas forcément consommation de produit au sens strict !

Le joueur pathologique de Rapido, au comptoir du bar- tabac, l’acheteur compulsif de paires de chaussures, le cyberdépendant, l’accro au travail se rejoignent, au-delà de l’univers des toxicomanies sans drogue, dans celui des « addictions comportementales ».

Héroïne et chocolat

Si l’appellation addiction  satisfait logiquement les professionnels du domaine, elle ne présente pas que des avantages aux yeux de certains éducateurs. Dans un contexte social où « la perte de repères » est à longueur de temps dénoncée, la dilution du discours spécifique sur la toxicomanie au sens « classique » peut en effet constituer une difficulté supplémentaire.

Ainsi, le risque de banalisation de l’usage des drogues illicites ne doit pas être négligé. Quel danger ne ferions-nous pas courir à des millions d’ado en leur laissant à penser que, finalement, il n’y aurait guère de différence entre le « junky » en fin de parcours et la ménagère consommatrice immodérée de chocolat noir !

 Exactement à l’opposé, d’autres acteurs encore craignent pour leur part une dramatisation de certaines habitudes, certes excessivement répétitives mais plutôt anodines (re-bonjour à notre surconsommatrice de chocolat noir…). Le spectre d’une espèce de Big Brother médical, s’obstinant à traiter toutes les conduites humaines déviant de la « normalité », plane au-dessus de nos têtes embrumées…

Pour Marc Valleur, Médecin-chef du célèbre Centre Marmottan à Paris, il est essentiel de disposer de définitions claires et de faire la part entre la réalité de la perte de liberté du sujet, les habitudes de conduite simplement gênantes et « la forme indiscutable des addictions : la toxicomanie », c\'est-à-dire « non seulement la dépendance à une substance chimique, mais le fait que cette dépendance soit devenue le centre – à la fois but et moyen – de toute l’existence psychique et sociale du sujet ».

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